


Par Lex Thielen-1
Le code civil ne consacre pas la notion de contrat d’entreprise. Il parle en revanche du louage d’ouvrage et d’industrie-2, en distinguant entre le louage de travailleurs consistant dans un lien de subordination, le louage de transport et "celui des architectes, entrepreneurs d’ouvrage et techniciens par suite d’études, devis ou marchés".
Le contrat d’entreprise immobilière est défini comme "la convention par laquelle une personne s’oblige à l’égard d’une autre, en contrepartie d’un prix et sans lien de subordination, à réaliser, mettre en œuvre, modifier ou réparer, sur le site, un bâtiment, un ouvrage ou partie d’un ouvrage quelconque"-3.
D’une façon générale, la jurisprudence considère qu’on est en présence d’un contrat d’entreprise dès lors que le constructeur travaille, à titre onéreux, sous les instructions et directives du donneur d’ordre, concepteur du produit. Ainsi, ce dernier, maître de l’ouvrage, et cocontractant du constructeur, garde le pouvoir de modifier les plans, voire de mettre fin au contrat.
1. Généralités
Comme toute convention synallagmatique, le contrat d’entreprise nécessite pour sa validité, un échange de consentements libres et éclairés exprimés par des personnes capables à contracter, un objet certain et une cause licite.
Les prestations exécutées en violation des règles d’accès aux divers métiers du constructeur peuvent faire obstacle à la validité du contrat d’entreprise. La jurisprudence est cependant divisée quant à cette question.
La formation du contrat s’opère soit de manière instantanée, soit après une phase de négociation, au moment de l’acceptation d’une offre préalablement émise.
Comme tout autre contrat, le louage d’ouvrage est consensuel, c’est-à-dire que sa formation s’opère par le seul échange des consentements des parties, sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’accomplissement d’une quelconque formalité.
2. Accord sur les éléments essentiels
Le code civil consacre la règle d’application générale selon laquelle, outre les conditions de validité énoncées ci-dessus, les conventions se forment par l’accord des volontés sur leurs éléments essentiels qui sont l’objet et le prix.
En matière de louage d’ouvrage, une particularité doit cependant être signalée : l’absence de l’accord sur le prix au moment de la formation du contrat n’entraîne pas automatiquement sa nullité. Il n’est en effet pas toujours possible de déterminer à l’avance l’envergure des travaux et les matériaux nécessaires à leur réalisation.
Au Luxembourg, la jurisprudence semble être allée loin, en décidant qu’ "en l’absence de fixation préalable d’un prix, le bénéficiaire des services laisse fixer par le prestataire le prix des services fournis, parce qu’il fait confiance que celui-ci procédera à une évaluation adéquate des honoraires en fonction de la valeur des services"-4. Cette solution s’avère particulièrement favorable pour l’entrepreneur en ce qu’elle instaure une sorte de présomption du caractère justifié des montants réclamés. Il appartiendra dès lors au maître de l’ouvrage qui reproche à l’entrepreneur une facturation excessive de fournir des arguments sérieux à l’appui de ses contestations.
3. Accord sur les éléments substantiels
L’accord sur les éléments essentiels du contrat d’entreprise n’est cependant pas toujours suffisant pour la formation de la convention. Il doit encore et le cas échéant porter sur les éléments dits « substantiels , à savoir les points complémentaires ayant fait l’objet de pourparlers entre les parties et qui revêtent pour elles une certaine importance.
Ces éléments en matière de louage d’ouvrage peuvent être le délai d’exécution, les modalités de paiement, l’existence ou non d’une condition suspensive d’obtention d’un prêt bancaire ou d’un permis de construire ainsi que toute autre condition que les parties jugeraient nécessaire d’inclure dans le contrat.
C’est uniquement lorsque l’offre sera suffisamment précise et ferme que son acceptation emporte la formation du contrat.
4. Les pourparlers
Les pourparlers ne lient en principe pas les parties et leur rupture reste libre, à condition de ne pas être exercée de manière fautive. Tel serait notamment le cas d’une rupture brutale de négociations complexes, intervenue dans une phase avancée. Il est par ailleurs important de préciser que le principe de la liberté de rupture des pourparlers subit certaines exceptions ; notamment il ne s’applique pas lorsque la prestation porte sur l’établissement d’un plan, projet ou tout autre œuvre créatrice, à l’instar de la mission confiée à un architecte.
5. Les conditions générales
Il faut finalement mentionner la problématique des conditions générales. L’entrepreneur a tout intérêt à ce que son co-contractant les accepte expressément. En effet, il convient de rappeler que l’article 1135-1 du code civil dispose que : "Les conditions générales d’un contrat préétablies par l’une des parties ne s’imposent à l’autre partie que si celle-ci a été en mesure de les connaître lors de la signature du contrat et si elle doit, selon les circonstances, être considérée comme les ayant acceptées."
Par ailleurs, les clauses exorbitantes du droit commun (intérêts supérieurs au taux légal, clause pénale etc.) ne sont admises qu’au cas où les parties sont en relation d’affaires suivies et si les conditions générales ont été acceptées expressément ou si l’attention du cocontractant y a été attirée spécialement lors de la conclusion de la convention par un renvoi suffisamment clair et apparent, la seule reproduction des conditions générales de vente au verso des factures ne suffisant en principe pas.
Lorsqu’on parle d’obligations découlant de la signature d’un contrat de construction, il est bien entendu facile et commun de ne penser qu’aux obligations à charge du professionnel. Même s’il s’agit le plus souvent de sa responsabilité qui sera recherchée pour des manquements constatés, il ne faut pas perdre de vue que le maître de l’ouvrage, lui aussi, est tenu à certains devoirs vis-à-vis de l’entrepreneur et que les procédures notamment pour des défauts de paiements sont courantes devant les juridictions. Finalement, le sous-traitant va avoir un statut légal particulier qui va entraîner l’existence de certaines obligations dans le chef de l’entrepreneur général ou du maître d’ouvrage à son égard. Nous allons ici seulement énoncer les principales obligations, sans les examiner en détail.
1. Les obligations de l’entrepreneur
Les obligations de l’entrepreneur s’étendent sur toute la durée de la relation contractuelle et sont multiples :
• obligation de renseignement et de conseil
• obligation de construire un ouvrage conforme
• obligation de construire un ouvrage exempt de vice
• obligation de respecter le prix convenu
• obligation de respecter le délai d’exécution
• obligation de sécurité.
Le contenu et l’étendue de ces obligations s’apprécient par rapport à deux critères principaux : la volonté des parties, dont le respect se vérifie au travers de l’obligation de conformité, et les règles de l’art, dont la violation est généralement sanctionnée par l’intermédiaire des vices de construction.
La dualité du contrôle volonté/règles de l’art concerne non seulement l’exécution des prestations, mais également les matériaux fournis par le constructeur.
Quant à la nature de l’engagement du constructeur, la jurisprudence est aujourd’hui unanime et formelle pour décider que ses obligations à l’égard du maître de l’ouvrage sont toutes de résultat, et non seulement de moyens.
2. Les obligations du maître de l’ouvrage
Les obligations du maître de l’ouvrage sont principalement :
• permettre l’exécution de l’ouvrage
• assurer la réception
• payer le prix convenu
• payer directement le sous-traitant agréé.
1. Causes ordinaires de l’extinction du contrat
Comme tout autre contrat, le contrat d’entreprise peut prendre fin par son exécution complète, ou alors par son annulation ou sa résolution en cours d’exécution.
A ce titre, le contrat d’entreprise ne présente aucune particularité par rapport au droit commun.
2. La rupture unilatérale du marché à forfait
Néanmoins, le contrat d’entreprise présente une particularité dans la mesure où l’article 1794 du code civil a prévu la possibilité d’une résiliation unilatérale du marché à forfait.
En effet, cet article offre au maître de l’ouvrage la possibilité de résilier unilatéralement le marché à forfait, quoique l’ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l’entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu’il aurait pu gagner dans cette entreprise.
Cette faculté de résiliation étant exorbitante de droit commun, la règle édictée par l’article 1794 est d’interprétation stricte et n’est applicable que dans le domaine spécifique des marchés à forfait proprement dits.
Il s’agit d’un droit quasi-discrétionnaire, indépendant de toute idée de faute, que le maître de l’ouvrage peut choisir d’exercer ou non.
En principe, le contrat est résiliable à tout moment, donc aussi bien avant le commencement des travaux qu’en cours de travaux, mêmes si ceux-ci sont déjà bien avancés, dès lors qu’ils ne sont pas complètement terminés. Le droit de résiliation peut s’exercer sans que le maître soit tenu d’indiquer le motif de la résiliation.
Une fois la résiliation opérée par le maître de l’ouvrage, l’entrepreneur est tenu de quitter le chantier dans un délai raisonnable, sous peine d’être condamné à verser une indemnité d’occupation. Il peut de son côté demander réparation du préjudice subi du fait de la résiliation, étant en droit d’être dédommagé de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu’il aurait pu gagner dans cette entreprise. Il pourra en outre, le cas échéant, obtenir des dommages-intérêts supplémentaires en réparation de son préjudice moral lié à la brusque rupture du contrat et la nécessité d’une action en justice pour obtenir indemnisation.
Il faut distinguer le contrat d’entreprise d’un certain nombre d’autres contrats en matière immobilière.
1. Le contrat d’entreprise et la vente
Une première approche fait croire que cette distinction est aisée alors que le contrat d’entreprise porte sur un travail à effectuer et la vente sur une chose à livrer. Mais la frontière entre les deux contrats s’amenuise lorsqu’il s’agit de transférer un objet dont la fabrication est à réaliser dans le futur.
Dans cette hypothèse, la qualification en contrat d’entreprise l’emporte lorsque l’entrepreneur fournit son travail et que, soit la matière première est fournie par le maître de l’ouvrage, soit l’ouvrage lui-même porte sur un produit fourni par le maître de l’ouvrage.
La jurisprudence considère également un critère économique lorsqu’elle tient compte de l’importance de la part du travail à fournir par rapport à la matière, le poids de la main-d’œuvre dans les opérations de construction étant prédominant. Ainsi, il a notamment été décidé que "la convention en exécution de laquelle un cocontractant fournit la matière en plus de son travail constitue une vente si la valeur de la matière est supérieure à celle du travail et un contrat d’entreprise dans l’hypothèse inverse"-5. Elle qualifie en général de vente les situations ambiguës.
Deux critères de distinction sont retenus par la jurisprudence en la matière :
• le nombre plus ou moins grand de cocontractants de l’accédant à la propriété, et
• le rôle plus ou moins actif ou passif joué par ce dernier, et spécialement le pouvoir d’apporter des modifications aux plans.
2. Le contrat d’entreprise et la vente d’immeuble à construire
Le point commun entre ces deux contrats réside dans l’obligation pour le constructeur d’édifier un immeuble.
La distinction provient de la question de savoir si le client/acquéreur peut ou non apporter des modifications aux plans, respectivement assumer d’une quelconque façon la maîtrise de l’ouvrage – dans ce cas il s’agit d’un contrat d’entreprise - ou s’il se borne à en prendre livraison après son achèvement.
La distinction est importante, notamment en raison des formalités différentes à observer dans les deux sortes de contrats.
3. Le contrat d’entreprise et le mandat
Le critère de distinction entre le contrat d’entreprise et le mandat réside dans le pouvoir de représentation : le mandataire est chargé d’accomplir une opération juridique au nom et pour le compte de son mandant et donc de le représenter. L’entrepreneur, quant à lui, exécute des actes matériels et intellectuels au profit du maître de l’ouvrage, sans le représenter.
Il est généralement présumé que les architectes, entrepreneurs et autres techniciens sont liés au maître de l’ouvrage par un contrat d’entreprise, sauf si ce dernier les mandate pour accomplir des actes juridiques à son nom et pour son compte.
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1- Lex Thielen est avocat à la Cour et auteur des livres « Les professions de l’immobilier en droit luxembourgeois , Editions Larcier, 2010, « Le contrat de bail , Editions Promoculture/Larcier 2013, « Tout savoir sur l’immobilier , Editions Promoculture/Larcier (1ère édition 2015, 2e édition novembre 2016) et « Immobilienrecht in Luxemburg, einfach erklärt (Editions Promoculture/Larcier 2016). Lex Thielen vient de publier son nouveau livre « Le droit de la construction au Luxembourg (Editions Promoculture/Larcier février 2018).
2- Article 1779 du code civil.
3- Luxembourg, 18 février 2004, rôle n°84212.
4- Luxembourg, 20 janvier 2006, rôle n° 94760.